Le corps a la parole et il en use…

Ce matin-là, Emmanuel a croisé deux chevreuils planqués comme souvent dans le petit pré juste avant le dernier lacis de route, là où bientôt le goudron s’arrêtera pour laisser toute la place au sentier de terre, cahotant et tortueux, qui mène au gîte de Vincent. Le vélo file dans l’air vif du matin, la pluie a été plus dense qu’il ne l’avait présumé, il se dépêche de se faufiler entre les gouttes. En même temps, avec son bermuda et sa veste en tissu technique et toute son expérience, il ne craint pas les intempéries. Il s’adapte.

Les jeûneurs sont pour la plupart rassemblés dans la salle principale. En pénétrant dans le salon, comme chaque jour, Manu remarque le calme vertueux de ce groupe. Il peut même enlever tranquillement sa veste trempée et l’accrocher à la charnière de la porte, – l’un de ses gestes de prédilection – sans être criblé d’interrogations diverses, et tout en saluant chacun vérifier ce qu’il faudra rapporter le soir même (des jus de fruits, du citron) et s’emparer d’un grand sac pour donner un coup de propre aux pièces communes. Emmanuel a un cœur énorme, mille bras et quatre cerveaux à destination de ses jeûneurs, mais n’aime rien tant que les petits traits d’humour « à la Manu » qu’il distille le visage aussi serein et apaisé que d’habitude – sa tronche de bonze – mais tous lisent la petite lueur infernale au fond de ses prunelles.

Yves, grand corps et tête bien faite, au jeûne sec 3 journées, à trouvé le mot juste : coach. Plus qu’un encadrant, un responsable de stage, Emmanuel les coache tous délicatement, chacun à sa mesure et à son rythme. C’est imperceptible au début de la semaine, évident à son terme.

Avant de procéder à la séance de yoga, ses jambes déjà nouées, Manu explique la topographie de la randonnée du jour, le programme de l’après-midi, achevant comme toujours par le rappel qu’ils sont totalement libres de choisir leur emploi du temps. « Soyez égoïste » leur a t’il formulé au début du séjour.

Julien écoute, recueilli en lui-même autant que connecté à la vibration du groupe, cette voix a l’unisson qu’ils ont élaborée presqu’aussitôt descendus de leurs voitures ou de leurs trains.

Nicolas est en vadrouille dans le gîte et à travers la pièce. Si on le cherche, le plus souvent on le trouve, filiforme et discret, debout à tourner sur lui-même quand les autres sont affalés. C’est son premier jeûne et tout ce qu’on lui a prédit ne lui arrive pas, alors il attend et observe, stoïque, avec la distance à la Reiser qui les écroule tous de rire au moins deux fois par jour. Il est accompagné de Francine, la plus pétulante et volontaire des femmes, – c’est la sienne et il a pour elle toutes les attentions – toujours partante pour découvrir et aider les autres (elle seule est munie d’un sèche cheveu !!!) et de sa  sœur Nathalie, aussi prompte à la punchline que son frère, qu’elle est douce et souriante. Pour elle ce jeûne se passe idéalement, elle semble de jour en jour plus resplendissante. Ce trio, a son insu, donne au groupe sa parfaite homogénéité, cette belle fraternité qui les a tous reliés au premier coup d’œil.

Un jeûne, on croit savoir pourquoi on y va, on ne sait pas ce qu’il vous réservera et ce qu’il vous chuchotera de vous. Le corps a la parole et il en use. Les émotions y sont fortes, pas forcément démonstratives, mais leurs présences permanentes créent un humus singulier entre les êtres qui les attache durablement, souvent longtemps après le séjour. Dans les altitudes du Pilat, tous, ils ont inventé leur île.

Manu a choisi ses thérapeutes, ces mains qui relaxent et auscultent les corps des jeûneurs principalement parmi des sages-femmes versées dans l’ostéopathie, l’acupuncture et tous les massages qui soulagent. Les jeûneurs ont tous sans exception vécu d’intenses instants entre ces mains-là passionnées d’anatomie et parfaitement connaisseuses de la révolution que le jeûne occasionne. C’est l’une des clefs de la réussite d’esprit jeûne, ce mélange de coaching sportif et émotionnel mâtiné d’une culture scientifique très au-dessus de la moyenne de ce type de stage. Isabelle, maîtrisée et observatrice, n’en revient pas : elle a vécu une consultation d’une telle expertise qu’elle affirme avoir trouvé la thérapeute qu’elle recherchait de longue date. C’est aussi le cas de Muriel, remise totalement d’équerre et prête à aller de l’avant. Tout le monde a vite craqué pour Muriel, bourrée d’humour et de volonté, d’une rare élégance, à laquelle rien n’échappe. Elle occupe le petit gîte avec Laura et Isabeau, se prélasse dans le hamac après avoir allumé un petit feu dans la cheminée, qu’elle a amadouée en deux coups de cuillère à pot. Blandine, attachante et féminine est la Betty Boop du groupe, elle qui aime lancer des remarques à brûle pourpoint et les faire s’esclaffer. La candeur se mélange en elle à l’expérience de la vie. On la dorlote. Elle en fait autant. Souvent elle cherche le sèche-cheveux de Francine.

Chaque matin, à pas de danseuse, Laura est la première à se lever. Parfois il est 6 heures lorsqu’elle traverse la forêt derrière le gîte, parfois plus tôt lorsqu’elle assiste au lever du soleil. Elle a trouvé la place exacte pour son île secrète à elle : une petite scène étroite de quelques dizaine de centimètres face à la baie vitrée : c’est la qu’elle salue chaque matin le jour qui vient en justaucorps noir.

Isabeau
séjour esprit jeune du 8 au 14 mai 2021